vendredi 6 mai 2011

Cravan VS Freud

Un homme au corps imposant, un colosse de 105 kg sur 2 mètres 5, champion du monde de nihilisme qui a concrétisé le défi de Arthur Rimbou contre la civilisation. C'est Arthur Cravan ( pseudonyme de Fabien Avenarius Lioyd) neveu d'Oscar Wilde, boxer de profession et poète à ses heures, qui a eu une vie particulièrement excentrique. Pendant la première guerre mondiale,il a changé son identité et sa citoyenneté, il arrive même à franchir la frontière déguisé en femme , on dirait un colosse de femme. Normalement un poète déclame des vers, au contraire lui se déshabille et offre des démonstrations de boxe. Entre 1912 et 1915 il fonde la revue de critique brutale 'Maintenant' dans laquelle il attaque tous les poètes et les auteurs de prose de son époque, parmi ceux- ci les intouchables de la culture française comme Apollinaire ou Gide. Il en sera d'ailleurs l' éditeur et le rédacteur unique.




Ce n'est pas par hasard qu'il est considéré comme une icône du dadaïsme dans le Paris du début du XXeme siècle. Il représente l'esprit anarchique et nihiliste contre les valeurs traditionnelles de la société, qui par ailleurs ont permis le carnage de la guerre et par là il montre que les anciennes valeurs se révélaient facteurs de ruine.

Comme les artistes Dada qui vont contre tout modèle consolidé de beauté en amenant à l'exagération le rôle du hasard dans la création artistique, Cravan aussi refuse toutes les valeurs soutenues comme inspiratrices de l'artiste pour reconnaitre plutôt un rôle fondamental à la vie elle- même avec ses gestes simples et quotidiennes . En 1914 il écrit dans sa revue: « ...Le modèle pour un vrai peintre c'est la vie […] la peinture c'est marcher , courir, boire, manger, dormir, et faire ses besoins.»

Avec cette affirmation pour la première fois la vie dans sa totalité est déclarée reconnue comme source d'inspiration, avec les petits gestes qui nous rendent conscients d'être vivant.

Mais bien que cette affirmation puisse être très radicale en 1914 , dans la liste des besoins primaires de l'être humain, Cravan paraît avoir oublié un geste fondamental: l'aspect sexuel.

Il n'y a aucun doute que parmi les besoins primaires il est pour nous naturel de considérer le besoin sexuel comme source d'inspiration de création au même titre que marcher , dormir etc..

Mais il faut considérer que ce que pour nous est évident actuellement ne l'était pas du tout aux premières décennies du XX siècle. Il faut attendre la recherche psychanalytique de Freud, pour affirmer de manière « officielle » que le besoin sexuel ,qui suit la phase orale et anale du processus psico – sexuel, doit être considéré comme un besoin primaire de l'homme .


Les théories de Freud étaient considérées avec méfiance par ses contemporains, parce que il revenait toujours à des explications de nature érotique selon le processus de la psyché .Il est possible que le révolutionnaire Cravan, même si digne successeur de Wilde pour son effronterie et son attitude de provocateur, se soit méfié comme les autres de ces théories freudiennes en le jugeant trop audacieuses pour l'époque. Selon une autre éventualité Cravan n'était pas encore informé de toute la recherche freudienne: les textes sur la psychanalyse apparaissent déjà à partir des dernières années du XIXeme siècle, mais la renommée mondiale liée à leur diffusion remonte aux années 20 du siècle suivant.

Cette prise de conscience concernant l'acte de « faire l'amour » comme simple besoin primaire et corporel de l'homme dévalorisera l'importance de « l'amour sentiment » qui par contre a toujours inspiré toutes les expressions artistiques,( tant que quelqu'un se demandera quoi reste de l'amour après Freud..)

En conclusion, je crois que Cravan était si mordant au point qu'il ne se laissa pas entraver par la pudeur de son époque, il a très probablement retenu que son public n'était pas encore prêt à comprendre l'amour dans ces termes; il a pourtant préféré éviter le risque d'être accusé de vulgarité.





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